Chatoyance de couleurs fauves, joyeux bric à brac vintage, cabinet de curiosités bling bling, brocarts et soieries en attente d’ornements précieux… nous ne sommes pas à Byzance mais chez Davina Shefet ou plutôt dans son atelier, là où ses créations textiles inspirées et inspirantes prennent forme. De son imagination naissent des histoires poétiques qui se racontent par petites touches sur des foulards et des kimonos habités. De l’artisanat avec un grand A à l’ère du fast fashion et des digital natives qui ne jurent plus que par le virtuel, on aime ça.


Davina est arrivée dans la mode « par hasard » et explique créer « par accidents » . Son talent semble lui échapper alors même qu’il nous éclate à la figure. Voyage quelque part entre l’orient et l’occident, For the Party People mais pas que…
Peux-tu te présenter ?
J’ai 27 ans, à la base je suis compositeur-interprète puis j’ai étudié la communication visuelle pendant trois ans à l’ECV. Je me considère un peu comme une touche-à-tout. J’ai commencé l’illustration et très vite j’ai eu envie de m’exprimer sur d’autres supports que le papier. Tout sauf des surfaces planes. Je me suis alors tournée vers le textile qui pose des contraintes soit de nouveaux challenges pour moi qui aime relever les défis. Travailler les pleins, les vides, le volume m’intéresse tout particulièrement. J’ai donc commencé à peindre sur des foulards puis de fil en aiguille sur des plus grandes pièces : des kimonos. En fait je me suis retrouvée dans la mode un peu par hasard.

Qui se cache derrière « La Factory » que l’on trouve sur ton site* et quel lien y a t-il avec « For The Party People » ?
En fait il y a deux choses : « La Factory » qui est une agence de communication visuelle que j’ai créée qui traite des projets pour l’illustration, le web design, l’identité visuelle, la publicité et « For the Party People » ma marque de kimonos. Il m’arrive d’employer des free lance pour l’un ou l’autre de ces deux projets mais globalement, je suis seule derrière tout ça.
Pourquoi avoir choisi comme pièce phare de ta collection le kimono ?
Alors là c’est une très longue histoire. Il y a plusieurs raisons à cela.
La première est liée à mon histoire personnelle : à une époque où j’avais des problèmes de poids je recherchais toujours le vêtement qui allait à la fois cacher mes complexes et refléter ma personnalité. Ce devait aussi être un vêtement dans lequel je me sente bien, dans lequel je puisse bouger tout en me sentant mise en valeur. Je portais souvent des mailles extra-larges ou des vestes avec des détails particuliers pour attirer le regard là où je le désirais.
La seconde est liée à un constat de mon expérience en tant que vendeuse de vêtements : de nombreuses femmes recherchent des pardessus pour sortir or on ne leur propose que des blazers ou des étoles. Je trouve cela très limité. En fait, j’ai tiré la conclusion qu’il y avait à ce niveau une demande supérieure à l’offre et qu’il y avait sans doute quelque chose d’autre à proposer.
La troisième raison est liée à mes goûts et à ma personnalité : j’ai toujours été fascinée par la mode japonaise et par le kimono. Au Japon, on offre un kimono lors des grandes étapes de la vie comme un rite de passage. Je trouve ce côté sacré, cérémonial très beau. Je ne fais pas référence à l’univers des Geisha mais vraiment à ce que représente le kimono lui-même. Une amie m’a offert un kimono il y a un an alors que je venais de commencer à peindre sur des foulards et là ce fut une évidence, il fallait que je peigne aussi sur des kimonos !


« For The Party People », dois-je en conclure qu’il faut nécessairement être une créature de la nuit pour porter un de tes kimonos ?
En fait je cherche surtout à fuir toute sorte de stéréotypes. Je n’aime pas le côté austère et prétentieux de l’ambiance des soirées depuis la fin des années 80. Tu sais, ce côté bling bling très sélect avec des codes fermés et élitistes. Moi je voulais un univers qui soit joyeux, coloré, mixte, bon enfant et résolument ouvert d’esprit. La liberté c’est le mot clé. En définitive, « For the Party People » ne s’adresse pas uniquement aux gens qui clubbent mais avant tout à ceux qui cherchent à s’abandonner, à se réinventer. Le personnage du drag Queen par exemple est pour moi une source d’inspiration, c’est l’idée que, le temps d’une soirée, tu t’inventes un personnage pour mieux t’évader.
Quelles sont tes inspirations ?
La mode Japonaise, Kenzo, le mélange orient-occident, le fauvisme (Matisse en particulier), Chagall, Moreau, l’art Islamique… j’ai aussi été marquée par le style brut Danois -je suis Danoise d’origine- je m’en inspire dans ma manière de casser les codes.
Comme j’aime les références ethniques occidentalisées je cherche à créer par l’ornement des kimonos qui soient vraiment le reflet de ce pont entre orient et occident.

Comment définirais-tu ton style ?
Brouillon dans le sens expressionniste, je crée par accidents. Je n’ai pas vraiment d’idées en tête ou alors même si j’en ai une elle m’amène souvent à un résultat que je n’avais pas prévu, c’est d’ailleurs l’échec qui me fait rebondir. Je suis dans un style ornemental, visuellement spontané, avec un trait qui se veut électrique, diffus, à l’arrache.
Pour les références je me situe à mi-chemin entre Hermès (pour le côté tradition, luxe, artisanat), Lacroix (pour le vêtement d’exception) et Kenzo (pour la mixité des inspirations).
As-tu un fil directeur dans tes créations ?
Oui le storytelling. En fait, chacun de mes kimonos raconte une histoire différente car avant même de peindre, j’écris des histoires que je traduis ensuite visuellement. Le livre Pop Culture de Richard Mémeteau a été une source d’inspiration pour l’une d’elle.
Ma première collection de Kimonos intitulée « Party with yourself » correspond ainsi à cinq petites histoires qui traitent des différents états du moi. Il y a « Le jardin d’hiver » (les visages du moi) , « L’animal hybride » (le moi dompté), « Le voyage » (le moi primaire), « Gilgamesh » (le moi sacré) et « Pop Culture » (le moi par le reflet). En voici deux d’entre elles :
Le jardin d’hiver – Les visages du moi
Un moment de recueil et de poésie, de superpositions, de cachoteries, de la profondeur sous une apparente légèreté, une fragilité pesante, un envol sous la neige. Douceur et gourmandises sur la route stratifiée du soi. Paradoxes et visages d’une féminité introspective.L’animal hybride – Le moi dompté
L’homme et la femme donc. Une nature domptée, des peaux de serpents qui forment des fleurs, un lézard sec mis sous verre comme un papillon, la confusion des genres, l’inversion des genres même. De la taxidermie au bestiaire, l’allure d’une chasseuse fétichiste qui collectionne et se vêt de ses conquêtes chacune traquée et aimée pour ce qu’elle représente. Du pouvoir et des accomplissements, de l’égo travaillé, une beauté violente presque castratrice. Artemis meets Merkel.

Comment se déroule la création de tes kimonos, quel est ton procédé de fabrication ?
La première étape est la réalisation de la toile/du patron suite à laquelle j’élabore mon imprimé inspiré de mes histoires. Je peins le prototype original entièrement à la main, ce qui me prend environ trois semaines. Enfin vient l’assemblage avec une couturière.
Si le résultat me satisfait, je scanne tout, je retravaille l’imprimé pour la production et je l’envoie pour l’impression digitale. Cela donnera lieu à des collections capsules de 30 pièces par modèle produite en Europe (probablement en Italie).
Côté matières mes kimonos sont 100% soie crêpe avec ajout de brocarts et velours pour les ornements.


Des textiles peints à la main directement sur des pièces en soie, des collections capsules produites en Europe… de l’artisanat et du local à l’ère du fast fashion c’est un risque ou plutôt un véritable pari. Pourquoi ce choix ?
Par manque de moyens d’abord comme je débute. Par éthique ensuite afin de m’assurer de conditions de travail correctes. C’est aussi un choix politique. Celui de proposer des créations uniques pour des personnes qui veulent se sentir uniques, il fallait donc que ma démarche soit cohérente avec mon propos. Je ne vais en effet pas proposer des vêtements identiques en masse sinon je perds l’identité de ma marque.

As-tu déjà envisagé la personnalisation, actuellement très en vogue dans le milieu de la mode, de tes kimonos ? Cela irait dans le sens de ton choix non ?
J’ai déjà fait des collab avec Andy Bradin et French Tobaco. Je choisis des artistes et je réinterprète, moi avec eux, leur univers. Il s’agit vraiment d’un travail main dans la main. Je commence par leur poser des questions pour cerner leur personnalité puis je crée avec mes outils habituels. Quand à la personnalisation, c’est une option que je propose pendant le crowfunding*.
Ta marque semble proche du lifestyle. Il ne s’agit pas que de mode et de kimonos sinon de prôner un certain état d’esprit/art de vivre n’est-ce-pas ?
Oui c’est vraiment ça, pour moi le plus important c’est que la personne s’amuse ! Je suis en effet proche du designer dans le sens où avant de me lancer, j’ai réalisé de nombreux tests d’usage/de situation. Il fallait que la personne puisse réellement avoir une totale liberté de mouvement en portant mes kimonos. Je me suis aussi donné comme challenge de réaliser un modèle qui soit unisexe et taille unique. Un challenge qui me pose de sacrés défis côté production ! Je cherche encore mais je pense qu’il s’agira de l’Italie.
Quels sont tes projets à venir ?
Commencer par obtenir des fonds grâce au crowfunding* ! Je suis au coup d’envoi de ma collection donc je vais déjà voir quels sont les retours face à mes créations. Sinon j’ai bien un autre projet en tête mais il est d’une toute autre matière…
Ça m’intéresse…
J’aimerais créer un women’s group, pour faire court il s’agirait de réfléchir sur le leadership au féminin. C’est un projet sur lequel je travaille avec la même amie qui m’a offert le kimono et qui termine actuellement sa thèse sur le sujet.

Et si tu étais…
Une couleur : le vert
Une matière : le bois
un métal : l’or
Un vêtement : un kimono
Une odeur : la cannelle
une saison : l’automne
un paysage : une plage nordique
une fleur : de cerisier
une ville : Paris
un pays : la France
un plat : du saumon quel que soit sa forme
un goût : sucré (mais acidulé)
un réalisateur : Mel Brooks
un écrivain : Marguerite Yourcenar
une groupe de musique : Motown
un courant artistique : le fauvisme
une époque : à venir
Interview terminée, on quitte Byzance le Marais, la tête en effervescence pleine d’histoires mystérieuses, de légendes ancestrales, de teintes à la fois douces et violentes, de motifs orientaux, de rites sacrés, de métamorphoses, d’analyse sentimentales, de débats sur la confusion des genres… Tout est un peu brouillon, à l’image de l’atelier où l’on vient de voyager passer l’après-midi mais le sentiment, lui, reste net. Celui d’avoir rencontré une artiste avec un grand A. Davina, je te souhaite encore beaucoup d’autres belles histoires « par accidents » puisque c’est ainsi qu’elles surgissent du bout de ton pinceau.
Photos de l’article © JITMF